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Pourquoi se doter d’un code d’éthique et que devrait-il comprendre?

Depuis quelques années déjà, le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) présente la norme CAN/BNQ 9700-340 sur la gouvernance et les bonnes pratiques de gestion chez les organismes de bienfaisance. [i] Tout organisme de bienfaisance enregistré à l’Agence de revenu du Canada (ARC) désirant obtenir l’accréditation liée à cette norme doit remplir certaines conditions : l’une d’entre elles consiste à élaborer, adopter et faire connaître un code d’éthique.

Le BNQ définit le code d’éthique comme « un texte énonçant les valeurs et les principes à connotation morale ou civique auxquels adhère un organisme de bienfaisance pour l’aider à juger de la justesse de ses actions. »[ii] Plus précisément, le code d’éthique est un outil qui est principalement défini par la dimension déontologique de l’éthique, en contraste avec une dimension que plusieurs définissent comme réflexive[iii] de l’éthique. Au sens large, la déontologie réfère à une famille de théories morales qui conçoit une action comme bonne moralement par sa cohérence avec certains principes moraux. Par exemple, il est moralement bon de dire la vérité en vertu du principe de l’honnêteté, ou de venir en aide à son prochain en vertu du principe de la solidarité. Autrement dit, la déontologie renvoie toujours à des devoirs pour juger de la moralité d’une action. En ce sens, on présuppose souvent qu’une action sera moralement bonne si elle est cohérente avec le code. Nous verrons à la toute fin qu’il faut être prudent avec ce genre de conclusion, et qu’une approche réflexive, bien que plus complexe à adopter, peut à la longue être plus féconde. Le code d’éthique sert donc de balise et de vecteur de transparence : il établit « les règles du jeu » afin de guider les rapports entre les membres d’un organisme, entre un organisme et des usagers et entre l’organisme et le public.

Un code d’éthique devrait comprendre :

  1.  La mission de l’organisme
  2.  Un énoncé des valeurs partagées par les membres de l’organisme
  3. Les règles énonçant les comportements attendus en vertu de la mission et des valeurs partagées
  4. Les mécanismes prévus pour faire respecter la mission, les valeurs et les règles du code d’éthique.

Tout organisme à but non lucratif (OBNL) normalement constitué est doté d’une mission claire : passons donc à l’énonciation des valeurs partagées. Cette étape essentielle consiste à énumérer et surtout définir les valeurs qui motivent l’ensemble des membres d’un organisme à vouloir atteindre les objectifs liés à sa mission. En somme, nous pouvons définir une valeur comme une motivation à agir et comme une préférence morale. Cela signifie par exemple qu’en adoptant la valeur du maintien de l’intégrité de sa mission, un organisme serait porté à ne pas demander de financement qui l’obligerait à s’en éloigner, au détriment de valeurs telles que la santé financière, l’élargissement de son champ d’action ou encore de sa visibilité au sein de la communauté. Il est pour cela important, d’une part, de bien définir les valeurs auxquelles l’ensemble des membres sent devoir se rapporter, et, d’autre part, d’évaluer le prix à payer pour respecter ces valeurs. Il n’est pas rare que plusieurs valeurs adoptées par un seul et même organisme finissent par entrer en conflit.[iv] C’est pourquoi il est également important de hiérarchiser ces valeurs afin d’éclairer de potentiels conflits en signifiant très clairement quelle valeur devrait avoir préséance, et idéalement, les raisons justifiant cette hiérarchisation. Ces justifications devraient être évoquées en procès-verbal.

Après avoir dégagé les valeurs partagées, il faut élaborer les règles qui serviront à protéger la mission et les valeurs de l’organisme. Ces règles sont des comportements attendus, qui varieront bien entendu en fonction des acteurs concernés : les administrateurs, les membres de la direction et de la coordination, les employés rémunérés, les bénévoles et dans certains cas, les usagers, ne sont pas soumis aux mêmes exigences éthiques.[v] Il faut ainsi prévoir des règles propres à chaque catégorie d’acteur prenant part à l’organisme. Plusieurs exemples de règles éthiques sont proposés par le Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS) pour aider les OBNL intéressés à obtenir la certification du BNP.[vi]

Posons la règle suivante : « 1. Chaque membre doit informer le conseil d’administration de tout conflit d’intérêts existant dans l’organisme. » [vii] Cette règle suppose ensuite d’autres règles potentielles. En voici un exemple : « 1.1. Le CA s’engage à informer les membres de l’organisme des risques de conflits d’intérêts dans le contexte des OBNL ainsi qu’à les informer des mesures à prendre pour éviter ou bien gérer les situations de conflit d’intérêts. »

Après avoir adopté la formulation de la règle citée, il faut déterminer des mécanismes qui permettront de la mettre en application. Quelques questions méritent d’être posées dans un tel cas :

  • Qui est en situation de conflit d’intérêts ?
  • Qui a dénoncé ce conflit? S’il s’agit d’une tierce personne, comment protéger la confidentialité de ce lanceur d’alerte ? Quels sont les moyens de faciliter la dénonciation tout en minimisant les risques de représailles? S’il s’agit d’une personne qui se dénonce elle-même, comment procéder ?
  • Qui au sein du conseil d’administration a la responsabilité de gérer la situation ? Quelle situation peut exiger de convoquer des juges externes au CA ? Est-ce que les membres du CA sont suffisamment formés pour gérer de telles situations ?
  • Quelle sanction doit être prévue en fonction de la gravité du manquement éthique ?
  • Quels moyens employer pour réduire les risques de conflits : plus de surveillance, plus de formation, plus de sanction ?

On voit ici que ces questions cherchent à prévoir dans quels cas la règle édictée pourrait être enfreinte ou mal protégée, et visent à trouver des mesures qui aideront à réduire les risques de manquements. Évidemment, il est impossible qu’un code d’éthique réussisse à prévoir tous les cas de manquements. C’est pourquoi l’élaboration d’un code ne se fait pas du jour au lendemain, et que des amendements au code seront éventuellement nécessaires pour répondre à des conflits qui n’auront pas encore été envisagés.

Qui devrait élaborer le code d’éthique ?

Il arrive trop souvent que des organismes ou des entreprises demandent à des conseillers en éthique ou à des avocats d’élaborer un code d’éthique en leur nom, et de le faire adopter par leurs membres unilatéralement. Cette approche est déconseillée puisqu’une personne qui se fait imposer des normes et des valeurs de l’extérieur est moins encline à y aspirer que si elle les avait choisies. En effet, il ne suffit pas de connaître les règles pour les respecter : certaines études montrent que près de la moitié des travailleurs répondant ont avoué avoir déjà commis des fautes dans le cadre de leur fonction.[viii] S’il est tout de même très utile, voire essentiel d’être accompagné par un conseiller en éthique lors de l’élaboration du code, il faut également s’assurer que toutes les parties prenantes à l’organisme soient représentées : employés, bénévoles, militants, usagers, etc. Le CA pourrait s’avérer un choix logique pour une telle tâche, mais il est également possible de nommer un comité de travail représentatif en assemblée générale. Une fois le code adopté par le comité, il devra ensuite être entériné en assemblée générale.

Les limites de la déontologie :

Penser que bien agir se résume à la conformité aux règles et principes d’un code est quelque peu réducteur, et mène souvent à une vision de l’éthique qui se borne à surveiller et punir les fautifs.[ix] Un code d’éthique est un excellent outil pour assurer la transparence de l’organisme et la gestion équitable et standardisée des conflits et manquements. Cependant, il est également essentiel d’insuffler un climat de délibération, de compréhension et d’analyse des causes de ces conflits. Des fautes peuvent surgir sans que les personnes qui les ont commises ne l’aient voulu, soit par manque de temps, de ressources, par manque de formation, par usage ou pour des raisons qui n’ont pas été prévues dans le code. De nommer des avocats du diable dans les processus décisionnels, offrir des moyens de dissension anonyme, diviser les groupes décisionnels en sous-groupes et demander des avis de l’extérieur sont de bons moyens d’assurer un climat délibératif propice à une bonne culture éthique.

En résumé :

  • Un code d’éthique devrait comprendre :
  1. La mission
  2. Un énoncé de valeurs partagées et hiérarchisées
  3. Les règles et comportements attendus
  4. Les mécanismes et mesures prévues pour faire respecter la mission, les valeurs et les règles du code.
  • L’ensemble des parties prenantes de l’organisme doit être représenté dans l’élaboration du code.
    • Rédaction assurée par le CA ou par un comité de travail nommé en assemblée générale.
    • Le code d’éthique doit être adopté en assemblée générale.
    • Le code d’éthique ne se rédige pas en un jour! Des amendements seront nécessaires.
  • L’éthique ne se limite pas à la surveillance et à la punition des fautifs. Mieux vaut comprendre que juger.

Afin d’avoir une saine gouvernance au sein de l’organisation, Bénévoles d’Expertise, par l’engagement de bénévoles experts, accompagne les OBNL dans la réflexion globale d’un code d’éthique.

Ce texte fut rédigé par Jérôme Brousseau, conseiller en éthique et bénévole expert en gouvernance.

Bibliographie :

  1. Boisvert (dir.), L’intervention en éthique organisationnelle : théorie et pratique, Éthique publique hors-série, Liber, 2007.

Bureau de normalisation du Québec, CANBNQ 9700-340 Organismes de bienfaisance – Gouvernance et bonnes pratiques de gestion, BNQ, 2017.

Ethics Resource Center, National Business Ethics Survey of the U.S. Workforce, ECR, 2014.

  1. Girard, « Conflits de valeurs et souffrance au travail », Éthique publique [En ligne], vol.11, n.2, 2009.

Harding, Finelli et Carpenter, « Cheating in College and its Influence on Ethical Behavior in Prefessional Engineering Practice », American Society for Engineering Education, 2006, p.1-13

  1. Lamoureux, Éthique, travail social et action communautaire, Presses de l’Université du Québec, 2003.

Ministère du Travail, Emploi et Solidarité sociale, « Code d’éthique », dans Certification des organismes de bienfaisance, Gouvernement du Québec, 2019. https://www.mess.gouv.qc.ca/sacais/action-communautaire/certification.asp

___________________________

[i] Bureau de normalisation du Québec, CANBNQ 9700-340 Organismes de bienfaisance – Gouvernance et bonnes pratiques de gestion, BNQ, 2017.

[ii] Ibid., p.2

[iii] Voir notamment Y. Boisvert (dir.), L’intervention en éthique organisationnelle : théorie et pratique, Éthique publique hors-série, Liber, 2007.

[iv] Sur les impacts de ces conflits, voir D. Girard, « Conflits de valeurs et souffrance au travail », Éthique publique [En ligne], vol.11, n.2, 2009.

[v] H. Lamoureux, « L’éthique de l’action communautaire », dans Éthique, travail social et action communautaire, Presses de l’Université du Québec, 2003, p.119-175

[vi] Ministère du Travail, Emploi et Solidarité sociale, « Code d’éthique », dans Certification des organismes de bienfaisance, Gouvernement du Québec, 2019. https://www.mess.gouv.qc.ca/sacais/action-communautaire/certification.asp

[vii] Ibid., p.6

[viii] Voir Ethics Resource Center, National Business Ethics Survey of the U.S. Workforce, ECR, 2014, p.41; Harding, Finelli et Carpenter, « Cheating in College and its Influence on Ethical Behavior in Prefessional Engineering Practice »,  American Society for Engineering Education, 2006)

[ix] Robert Roy, « Actualiser les valeurs partagées », dans Y. Boisvert (dir.), L’intervention en éthique organisationnelle : théorie et pratique, Éthique publique hors-série, Liber, 2007, p.57-76.

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